« Et maintenant, dit Papkèn, nous sommes ici ensemble. Peux-tu me dire pourquoi tu as choisi ce lieu en Haute-Provence aride, cette ruine perdue sur une colline déserte ? »
Il ne s’agit pas ici d’une biographie du père de Ovannès Bodossakis, mais bien d’un récit nourri d’une trentaine d’années d’échanges complices entre un fils et son père dans le cadre d’une bâtisse de Provence. La chronologie s’efface au gré des souvenirs que suscitent un lieu, un parfum, une sensation ; le père va raconter son départ précipité de l’Anatolie après le génocide, son parcours de Mytilène en Grèce à Venise, où il poursuit ses études, et à Paris enfin, Montparnasse où il s’adonne à la peinture et partage l’effervescence artistique de la fin des années trente.
Après la guerre, et le temps du sto en Allemagne, il retrouve son univers artistique parisien et réalise de nombreuses œuvres — gravures, dessins, couvertures — pour plusieurs périodiques et éditeurs.
L’installation en Provence lui permet de renouer avec des paysages proches de ceux de son enfance, un ancrage qui est une forme de retour aux sources, à l’aridité et à la lumière grecques, pays où il aime retourner souvent. Mais son chemin d’exil ne demeure pas celui de la souffrance : la peinture, la gravure, la céramique sont autant de sources de dépassement.
Ovannès Bodossakis, nom de plume de Jean-Pierre Bodossian, est architecte, d’ascendance grecque, arménienne et flamande. Après des études au collège arménien de Sèvres, il voyage en Angleterre où il découvre le jazz, puis à Buenos Aires pour revoir son grand-père. Un passage à Louis-Legrand en philosophie et il intègre les Beaux‑Arts de Paris pour ses études d’architecture dans l’atelier d’Otello Zavaroni. Il ne cesse de voyager, notamment en Grèce, à Mytilène, comme un retour aux sources familiales.
La rencontre avec l’éditeur Robert Morel installé près de Forcalquier sera déterminante et lui fera découvrir la Provence où ses parents vont retrouver les lumières de la Grèce. Il achève ses études d’architecture aux Beaux-Arts de Marseille en 1969.
Comme coopérant, il découvre l’Algérie, l’œuvre de Fernand Pouillon, le M’Zab et la Kabylie. Il intègre un temps l’atelier d’architecture de Jean-François Jacoulet et poursuit diverses missions d’expertise et de conseil.
Toujours proche de Papkèn, son père, Ovannès organise une exposition de ses peintures en 1981 à Aix-en-Provence. En 1984, ils décident ensemble d’un nouveau voyage en Grèce et en Crète, pendant lequel la proximité permet les échanges, les souvenirs, les récits familiaux. Au décès de son père, Ovannès Bodossakis décide de se mettre à l’écriture pour fixer tous ces parcours et ces rencontres dans une sorte de biographie de l’intime.
Papkèn Bodossian (25 août 1914 - 25 mars 1986) est né à Bardizag, village arménien au sud d'Istanbul, à la veille du génocide. Après l'exode, il étudie à Venise puis à Paris où il fréquente les académies artistiques et commence à peindre. Il expose notamment au Salon des indépendants et collabore en tant qu’illustrateur à plusieurs revues littéraires. Dans les années soixante, il s’installe en Haute-Provence où il ne cesse de créer avant de décéder à Paris.