Dès lors que le parpaing venu des antipodes est moins cher que le calcaire pris sur place, il faut faire des choix, auxquels on avait jusqu’à présent échappé, nécessité faisant loi. La qualité des lieux de vie, le sens et l’adaptation des modes de vie sont devenus notre responsabilité : il faut les projeter et les réaliser. C’est le prix de la liberté et de la puissance. Considérer le paysage comme un projet, c’est faire des lieux de vie une cause commune, et non plus une conséquence fortuite. C’est une révolution au sens propre : un retournement complet de perspective. La maîtrise d’un paysage désiré, qui s’exprime à son plus haut degré à l’échelle du bâtiment et du jardin, franchit le mur, gagne le site au-delà du lieu, et le territoire au-delà du site. De proche en proche, le monde entier est perçu comme paysage à vivre et à façonner. C’est cette charge prométhéenne, universelle, faramineuse, que contient le « projet de paysage ». La démarche paysagère mise au jour dans cet ouvrage apparaît profondément innovante, voire révolutionnaire : elle est contre les spécialistes, les disciplinés, les simplificateurs, les séparateurs, les réducteurs, les rationalistes, qui défont la planète. Elle porte l’ambition folle de redessiner le monde. Elle possède tous les attributs pour détoner. Il est urgent de mettre cette puissance de feu bienveillante et percutante au service de la Transition, car la Transition elle-même est une urgence, qui a vocation à déboucher sur un monde désiré et heureux, plutôt que sur une planète défaite. La nature décapante de ce mode de penser et d’agir relationnel, transversal, indiscipliné, complexe et subjectif — en un mot subversif —, peut nous y aider. Il est temps de s’engager sérieusement dans le passage en construisant l’Archipel des métamorphoses.
Bertrand Folléa est paysagiste et urbaniste praticien.