Après quinze années de guerre civile et dans un climat politique très instable, Beyrouth, entre ruines et chantiers, s’est renouvelée dans un mouvement effréné qui échappe au consensus.
La métropole libanaise, palimpseste où affleurent de multiples strates d’urbanisation, a été et reste le champ d’une opposition farouche entre, d’un côté, partisans de l’effacement des traces d’un passé violent et, de l’autre, défenseurs de la cause patrimoniale. Mais dans cet espace urbain complexe, comment identifier ce qui relève du patrimoine ?
Loin d’être univoque, cette notion fait ici l’objet d’un état des lieux, dans l’histoire récente et à travers le prisme des différents protagonistes de la cité. De l’urbaniste au citadin ordinaire, chacun dessine une conception singulière du passé dans le paysage de la ville. Dès lors, des enjeux de tous ordres surgissent et se heurtent. Les ambitions politiques ou spéculatives rivalisent avec les stratégies de promotion ou de défense d’un capital culturel et symbolique.
Ainsi, bien plus que des traces comme témoignage d’une douloureuse période historique, les îlots ruinés de Beyrouth révèlent les conflits irrésolus qui secouent toujours la société libanaise.
Sophie Brones est maître de conférences à l’Ecole d’architecture de Versailles (ENSA-V), chercheur associée au LéAV. Ses recherches en anthropologie urbaine portent sur les usages du passé et la production culturelle dans les villes de l’Orient arabe. En particulier, elles s’attachent ces dernières années aux pratiques muséographiques et archivistiques, et aux pratiques photographiques au Liban.